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ANNIVERSAIRE DE LA MORT DE PUCCINI

C’est aujourd’hui, mais 94 ans plus tôt, que Puccini mourait à Bruxelles, laissant inachevée « Turandot », son œuvre ultime.

Puccini est une énigme. Provenant d’une longue série de musiciens d’église, doué certes mais sans génie apparent dans ses dispositions, paresseux (plaintes régulières de ses professeurs), pas très cultivé, en panne d’inspiration souvent, il a réussi à faire émerger une œuvre opératique des plus importantes.

Sur les douze opéras qu’il a composés cinq ou six sont au sommet du répertoire, « La Bohème », « Tosca », « Madame Butterfly » et « Turandot » étant, pour certains, le sommet même de cet art si difficile.

Très sensible aux femmes, avec un penchant pour des histoires compliquées (il a séduit une femme mariée ayant deux enfants, puis la jeune sœur de leur domestique conduisant cette dernière au suicide), Puccini semble indifférent à la cadence de l’Histoire. A cheval sur le siècle, vivant pendant les périodes les plus mouvementées de l’Italie, il ne prend aucun parti pour rien, un peu comme Prokofiev qui se commet avec le régime soviétique (sa plus belle œuvre est sans doute « Zdravitsa », un hymne à la gloire de Staline) pour préserver son œuvre et la possibilité d’en créer.

Ce sont pourtant ces mouvements des plaques tectoniques qui sont le terreau fertile de l’opéra, et un parallèle curieux s’impose entre l’Allemagne et l’Italie, et entre deux générations des compositeurs de l’opéra.

On a d’une part Wagner et Verdi, très animés par les idées politiques de leur temps, se voulant hérauts d’un peuple et voix d’une civilisation, et de l’autre Strauss et Puccini, certes très ancrés dans leurs identités culturelles respectives, et bâtissant à partir des prédécesseurs, mais relativement imperméables aux événements politiques hautement dramatiques pourtant qu’ils ont traversé – tout ce qui se passe est du combustible pour l’œuvre, vécu à travers ce prisme, arrangé pour favoriser l’éclosion des opus.

Quelle est la grandeur de Puccini ? Si l’on reste entre ces deux nations géantes de l’opéra et on n’est pas effrayés par les clichés, on pourrait dire très globalement que si les Allemands sont supérieurs dans l’élaboration de la structure, par une richesse inégalée de leur langage harmonique et à cause de l’étendue éblouissante de leur art d’orchestration, les Italiens sont incomparables dans ce qui fait l’essence même de l’opéra pour le profane – la voix, le chant, la ligne mélodique.

(Mozart n’entre pas dans ce débat, étant un parfait Italo-Germain)

Verdi estimait d’ailleurs que la musique instrumentale pure est éloignée du génie italien et étranger à son esprit même.

Or Puccini est un descendant de Verdi, conscient de Wagner et attiré par la France (dans ses jeunes années à Milan il faisait partie de La Scapigliatura, équivalent de la vie de Bohème parisienne, une forme sage et ancestrale des baba cools désargentés mais chics ou des hippies germano-pratins). Si les innombrables recueils « Les plus beaux airs de l’opéra » contiennent immanquablement un bon pourcentage de l’œuvre puccinienne, - c’est l’exaltation même du belcanto italien, - la légèreté de son orchestration lumineuse et pleine de nuances colorées n’est pas sans rappeler l’idéal français en la matière, et la structure dramatique hautement théâtrale, travaillée, avec le principe du leitmotif très organiquement articulé ainsi qu’un vocabulaire harmonique très varié marquent l’intégration parfaite de l’apport wagnérien.

C’est donc une sorte d’équilibre miraculeux de tous les ingrédients que l’on souhaiterait pour un opéra, équilibre jamais atteint ailleurs de cette façon.