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OTAR TATAKISHVILI : ALLEGRO ALLA BREVE DU DEUXIEME CONCERTO POUR PIANO

Il est rare qu'une découverte soit aussi inattendue et belle que celle que j'ai faite d'Otar Taktakishvili cet après-midi, alors que France Musique consacrait une émission à la musique géorgienne.

On sait l'extraordinaire polyphonie de la musique traditionnelle de ce pays haut en couleurs, qu'il s'agisse de la musique populaire ou celle d'église. Le géorgien n'est pas une langue indo-européenne, et sa prosodie très particulière a donné naissance à des musiques singulières qui épousent les courbes de la langue et offrent des textures riches et savoureuses.

Mais dans le domaine de la musique savante, malgré quelques noms connus et une oeuvre ou deux rien ne m'avait frappé jusqu'ici.

C'est une très joyeuse surprise que d'entendre Allegro alla breve du Deuxième concerto pour piano de ce compositeur au nom très percussif qui avait signé dans ses années étudiantes l'hymne de la République Soviétique socialiste de Géorgie.

Né d'un père abkhaze et d'une mère comtesse géorgienne, formé au Conservatoire de Tbilissi (classe de E.Barkhudarian), Taktakishvili a joué un rôle important dans la vie culturelle de la Géorgie, signant beaucoup d'oeuvres dans les domaines variés, qui vont de l'opéra aux Concerti instrumentaux, mais aussi ayant occupé plusieurs positions officielles (président de l'Union des compositeurs ou Ministre de la Culture).

J'ai généralement une sorte d'allergie pour la production des musiciens soviétiques, surtout de second ordre, mais franchement le Concerto de Taktakishvili (merveilleusement joué par la célèbre Elisso Virssaladzé sous la direction du compositeur) a dépassé tout ce à quoi on pourrait s'attendre. Il y a d'abord un langage personnel d'une grande cohérence, d'une vraie rigueur - chose rare. Et ce langage personnel est une synthèse heureuse du piano percussif hérité de Prokofiev, le compositeur dont Taktakishvili devait se sentir le plus proche, et une sorte d'épure des traditions musicales géorgiennes dosées à une très juste mesure. Le rapport entre le piano et l'orchestre est extrêmement bien réussi, c'est vif et inventif tout au long, avec un piano très volubile, constante force de proposition, et une orchestration à la fois légère, dans le sens de la transparence des couleurs (une plus grande densité aurait nui à la motricité perpétuelle de cette musique intrépide), et très maîtrisée. Surtout, l'oeuvre est puissamment originale tout au long, et je l'ai prise en cours de route, me demandant de qui pourrait-elle bien être, alors qu'elle me ravissait et intriguait de plus en plus. Vraiment une découverte inattendue, une vraie oeuvre qui réunit toutes les caractéristiques d'une grande, et qui se détache de la production habituelle des artisans laborieux et pas toujours très raffinés des ateliers de l'école de composition soviétique, solide mais sans transcendance en dehors des chefs d'oeuvres connus. Très belle découverte donc, et un intérêt pour ce compositeur que je ne connaissais que de nom jusqu'ici. Bravo à France Musique d'avoir été déniché une pépite pareille, enregistrée en 1976 (le concerto lui-même date de 1973).